ROME, Mercredi 20 octobre 2010 (
ZENIT.org)
- « A l'Eglise revient non seulement une autonomie limitée dans l'état, mais
aussi une souveraineté dans son propre domaine », déclare le cardinal Erdö à
propos des rapports entre Eglise et Etat selon la conception catholique (cf.
Ci-dessous in Documents pour le texte intégral en français).
Pour ce qui est
des rapports entre l'Eglise et l'Etat, le point de vue catholique a en effet
été exposé par le cardinal Peter Erdö, à l'occasion du 2e Forum
Catholique-Orthodoxe organisé sur l'île grecque de Rhodes (18-22 octobre
2010), à l'initiative du patriarche œcuménique Batholomaois Ier, avec la
participation du Conseil des conférences des Evêques d'Europe (CCEE).
Les participants ont été accueillis par le métropolite Kirillos de Rhodes.
Un premier Forum avait été organisé dans le Nord de l'Italie, à Trente, en
décembre 2008 sur le thème de la famille.
Le cardinal Erdö a pris en compte les différences de positions entre les
Eglises en disant: « Les différentes Eglises chrétiennes et les communautés
ecclésiales ont des points de vue ecclésiologiques différents. C'est aussi en
partie pourquoi elles ont des convictions théologiques différentes pour ce qui
a trait au rapport idéal entre l'Eglise et l'Etat. Les différences remontent
aussi à des circonstances historiques et historico-culturelles. La
représentation parallèle de ces points de vue peut être utile tant pour le
dialogue œcuménique que pour la collaboration chrétienne pratique dans
l'organisation des rapports aux différents états à l'intérieur du procès
d'intégration des peuples européens ».
Mais pour ce qui concerne la doctrine catholique sur l'Etat et l'Eglise, il
a fait observer qu'elle s'enracine « dans la tradition apostolique elle-même
qui se traduit d'une part dans les livres du Nouveau Testament mais que l'on
peut d'autre part reconnaître dans d'autres sources de la sainte Tradition,
sous la guidance du magistère de l'Eglise ».
« En même temps, il faut se rappeler du fait que, dans l'histoire, certains
concepts et formes d'expression de cet enseignement ont été marqués par les
circonstances politiques et culturelles dans lesquelles l'Eglise occidentale a
vécu », a-t-il ajouté.
Il a résumé l'enseignement catholique, en disant : « à l'Eglise revient non
seulement une autonomie limitée dans l'état, mais aussi une souveraineté dans
son propre domaine ».
« C'est, explique le cardinal hongrois, une conséquence de sa fondation par
le Christ, de son caractère de peuple de Dieu ». Il souligne que cette
position « est confirmée par l'histoire de l'Eglise des premiers siècles ».
Il précise qu'à cette époque, « l'Eglise n'était pas du tout un élément
constitutif d'une structure juridique publique d'un état quelconque ; elle
était en fait absolument ignorée et même persécutée ».
Mais, « après la sécularisation de l'Etat dans les Temps Modernes, il
semble être extrêmement dangereux pour la liberté et l'identité de l'Eglise
d'être traitée à l'intérieur de l'Etat comme une structure de droit public de
l'Etat ».
« La séparation pacifique de l'Etat l'Etat et la coopération sur un pied
d'égalité avec lui peuvent correspondre au mieux à la nature théologique de
l'Eglise », a conclu le cardinal Erdö.
Anita S. Bourdin
ROME, Mercredi 20 octobre 2010 (
ZENIT.org)
- « A l'Eglise revient non seulement une autonomie limitée dans l'Etat, mais
aussi une souveraineté dans son propre domaine », déclare le cardinal Peter
Erdö, archevêque d'Esztergom-Budapest et président du CCEE, à propos des
rapports entre Eglise et Etat selon la conception catholique.
Pour ce qui
est des rapports entre l'Eglise et l'Etat, le point de vue catholique a en
effet été exposé par le cardinal Peter Erdö, à l'occasion du 2e Forum
Catholique-Orthodoxe organisé sur l'île grecque de Rhodes (18-22 octobre
2010), à l'initiative du patriarche œcuménique Batholomaois Ier, avec la
participation du Conseil des conférences des Evêques d'Europe (CCEE).
Les participants ont été » accueillis par le métropolite Kirillos de Rhodes.
Le rapport entre l'Eglise et l'Etat dans la théologie de l'Eglise
Catholique
1. Remarques préliminaires
C'est un très grand honneur et une belle occasion pour moi de pouvoir
parler ici sur le point de vue catholique dans la question des relations entre
l'Eglise et l'Etat. Les différentes Eglises chrétiennes et les communautés
ecclésiales ont des points de vue ecclésiologiques différents. C'est aussi en
partie pourquoi elles ont des convictions théologiques différentes pour ce qui
a trait au rapport idéal entre l'Eglise et l'état. Les différences remontent
aussi à des circonstances historiques et historico-culturelles. La
représentation parallèle de ces points de vue peut être utile tant pour le
dialogue œcuménique que pour la collaboration chrétienne pratique dans
l'organisation des rapports aux différents états à l'intérieur du procès
d'intégration des peuples européens.
La doctrine catholique sur l'Etat et l'Eglise prend racine dans la
tradition apostolique elle-même qui se traduit d'une part dans les livres du
Nouveau Testament mais que l'on peut d'autre part reconnaître dans d'autres
sources de la sainte Tradition, sous la guidance du magistère de l'Eglise. En
même temps, il faut se rappeler du fait que, dans l'histoire, certains
concepts et formes d'expression de cet enseignement ont été marqués par les
circonstances politiques et culturelles dans lesquelles l'Eglise occidentale a
vécu.
2. Les fondements ecclésiologiques et de l'histoire des idées
a. L'idée de l'Israël nouveau
La première forme historique démontrable de la conscience de soi collective
de la communauté chrétienne était la conviction que les chrétiens sont le vrai
peuple de Dieu, l'Israël véritable. Dans la fondation de ce peuple, une donnée
nouvelle et toute particulière a agi : l'œuvre de rédemption du Christ.
L'Eglise est un peuple qui a été racheté au prix de son sang (cfr. Ap 5,9).
L'idée de la nouvelle alliance est liée à celle du peuple de Dieu de telle
manière que le concept du nouveau peuple de Dieu aussi apparaît
nécessairement. L'Eglise des premiers temps s'est comprise comme
l'accomplissement d'Israël, comme l'Israël nouveau et véritable.
Le Deutéronome a déjà élaboré la théologie et la terminologie du peuple de
Dieu. C'est par amour que Dieu a élu sien un petit peuple parmi les grands (cfr.
Dt 7,6). Les livres prophétiques développent aussi l'aspect eschatologique du
concept du peuple de Dieu. Après chaque infidélité du peuple et toutes les
punitions divines, Dieu veut rétablir l'alliance avec son peuple de manière
définitive en concluant avec lui une alliance nouvelle et éternelle (cfr. ex.
Jér 32,36-44). Les premiers chrétiens ont identifié l'Eglise avec ce peuple de
Dieu renouvelé dans l'alliance eschatologique. Cela ressort très clairement
dans la première lettre de Saint Pierre, par exemple (1 P 2, 9 ; cfr. Is
43,20s. ; Ex 19,6 ; voir aussi 2 Co 6,16 ; Hébr 8,10).
Mais qu'a-t-on entendu par Israël et par peuple de Dieu à l'époque des
premiers chrétiens? La structure de droit positif et institutionnelle d'Israël
s'est développée dans une direction toute particulière après l'époque
babylonienne. Vers la fin du 5e siècle avant Jésus Christ, lorsque Néhémie
était administrateur de la Judée ou peu de temps après, lorsqu'Esra était en
fonction, Israël était de loin plus répandu que seulement dans la province de
Judée. Les descendants des tribus juives vivaient aussi dans les provinces
voisines et dans la diaspora. Ils ont continué à se considérer comme des
membres de la communauté d'Israël et de la communauté de culte de Jérusalem.
Quand Esra « a introduit la loi » (cfr. Esra 7, 12-26), la sainte loi
ne s'est pas seulement référée à la Judée mais aussi à toute la communauté
d'Israël. Certes, la Judée était soumise au royaume des Perses, mais les
Israélites ont constitué une communauté nationale reconnue qui pouvait régler
les affaires internes selon les lois de leur Dieu. Le peuple a accepté la loi
(probablement toute la Torah) dans une alliance solennelle devant le Seigneur.
Cette loi devient ainsi « la constitution » de la communauté nationale. Ainsi,
Israël est passé de l'existence nationale (politique) à la façon de vivre
d'une communauté nationale déterminée religieusement, une « Eglise ».
Il y a une analogie concrète entre le christianisme des premiers temps et
le peuple d'Israël. L'Eglise était constituée d'églises locales qui, au-delà
de la foi identique et de la solidarité spirituelle et sociale, étaient unies
dans la conviction que les chrétiens appartiennent à une seule nation sainte.
Cela signifiait dès le début une unité organisatrice. Déjà le mot grec
ekklesia, dans l'usage linguistique chrétien, voulait dire plus que
seulement la communauté locale. Dans le Deutéronome, ekklesia kyriou
voulait déjà dire peuple élu comme unité, qui a conclu l'alliance avec le
Seigneur (cfr. Dt 9,10 ; 23,2s.). De même saint Paul utilise l'expression
Eglise de Dieu (ekklesia tou theou) pour l'ensemble de l'Eglise ou pour
l'Eglise dans son ensemble.
L'utilisation systématique de l'enseignement de la foi à propos de la
réalité de l'Eglise se développe cependant seulement à partir du 3e siècle.
Le fait que les chrétiens se sont reconnus comme peuple de Dieu souverain a
aussi influencé leur vision sur le droit et la discipline de leur communauté.
Dans l'Eglise des premiers temps, on peut identifier un groupe de normes
fondamentales et d'éléments de structure qui appartiennent au noyau de la
tradition apostolique, ainsi que d'autres normes apparues dans l'utilisation
de cette Tradition.
Les chrétiens des premiers siècles ont eu un rapport ambivalent vis-à-vis
du droit romain. Plus tard, un enrichissement réciproque entre le
christianisme et le droit romain a eu lieu. Suite à cela (surtout après le 3e
siècle), l'Eglise a réglé sa vie de plus en plus par des normes qui, aussi
selon la conception romaine, étaient de nature juridique (canons et plus tard
décrétales).
Les chrétiens se sont déclarés vrai peuple de Dieu. Conformément à cela,
ils ont conçu leur communauté en tant qu'Eglise, comme unité organisée aussi
socialement et significative sur le plan de l'histoire du salut. Les
fondements institutionnels de leur organisation (finalités, structures de
base) et ainsi de leur droit étaient déterminés par la mission et la Tradition
apostolique qui remonte à la personne du Christ. Cette partie de leurs normes
peut être qualifiée comme étant sainte, divine, constitutionnelle et juridique.
En tout cas, l'idée de l'Israël nouveau a justifié la prétention à la
souveraineté de l'Eglise.
b. Le rapport à l'état païen dans l'enseignement des pères de l'Eglise
Déjà les juifs, au temps de l'exil babylonien, ont souvent vécu sous
domination païenne et ont développé certaines pratiques de discernement quant
à la religion et la politique. Vu que les formes de vie des chrétiens dans
l'empire romain étaient semblables au début, il n'est pas rare qu'ils ont
continué à considérer ces principes de comportement comme valables. Ils ont
reconnu les pouvoirs publics comme légitimes (Dan 2 ; cfr. Jn 19,11 ; Rom
13,1-7 ; Tit 3,1-3 ; 1 Tim 2,1-2 ; 1 P 11,13-17). En même temps, ils étaient
prêts à conserver leur autonomie religieuse même au prix de la persécution
(Dan 3 ; cfr. Ap 13,1-18 ; Mt 10,17 ; Ap 4,1-22 ; 5,21-42 ; 7,54-60 ; 8,1).
Pour cela, ils ont gardé l'exemple de Jésus lui-même devant les yeux (Jn
18,28-19, 16). Déjà dans l'enseignement du Christ, on voit la tension de la
distinction entre le domaine spirituel et mondain. « Rendez à César ce qui est
à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22,15-2 ; Mc 12,13-17 ; Lc
20,20-26), nous dit l'Evangile. En tout cas pour les chrétiens le problème de
la délimitation des deux domaines se présentait. Jésus lui-même a refusé la
compétence dans les choses du monde comme la répartition des héritages (Lc
12,13-14). Les chrétiens ont insisté sur le fait que, dans un sens
eschatologique, le royaume du Christ n'est pas de ce monde (cfr. Jn 18,36-37)
et affirmé que leur cité est dans les cieux (Phil 3,20-21).
Pour l'essentiel, les passages du nouveau Testament témoignent que les
premiers chrétiens ont reconnu les droits des services publics de la res
publica, mais seulement dans le cadre d'une hiérarchie des valeurs :
l'autorité terrestre doit obéir à Dieu (cfr. Rm 13,4). Cette vision a bien sûr
repoussé les anciennes mœurs religieuses et sociales et nié le caractère saint
de la civitas mondaine. Les apologètes du second et troisième siècle
partageaient presque tous cette opinion.
Cette attitude des chrétiens a provoqué une réaction très négative du côté
des contemporains païens. On a reproché aux chrétiens l'anarchie,
l'irréligiosité, l'irrationalité et la superstition. Après le tournant
constantinien (313), certains écrivains chrétiens ont commencé à considérer
l'empire romain en voie de christianisation comme image de la société
chrétienne céleste et en même temps de l'Eglise pèlerine sur terre. L'empire
apparaît dans ce contexte comme règne du Christ sur terre et comme Eglise déjà
répandue universellement en tant que Ecclesia universalis. Les deux
grandeurs semblent former une unité essentielle où la distinction des charges
des évêques dans le domaine religieux et de l'adminitration publique dans le
domaine mondain est maintenue. Dans cette théorie, l'empereur serait aussi
responsable pour le soin de l'Eglise. Cette vision de l'état et de l'Eglise a
été plus tard accentuée plus fortement en Orient et imposée de manière
radicale par l'empereur Justinien (527-565). Déjà au 4e siècle, des voix
s'élèvent dans le domaine chrétien, d'après lesquelles l'empereur ne doit
jamais confondre les choses terrestres et celles de l'Eglise. Saint Athanase,
Hilaire de Poitiers et saint Basile le Grand, mais surtout saint Ambroise de
Milan insistent sur le fait que ce sont les évêques qui doivent juger
l'empereur dans les questions de la foi et pas inversement et que l'Eglise ne
peut pas se soumettre à l'Etat (à la res publica). Cette direction
prédominante mais pas exclusive qui exige l'indépendance de l'Eglise dans ses
propres tâches et plus tard aussi la soumission des souverains du monde à
l'Eglise dans les questions spirituelles, rejette toujours plus clairement les
principes Eusébiens. C'est dans ce sens que l'on peut expliquer les prises de
position célèbres du pape Félix II (483-492) et Gélasius (492-496). Au début
du 5e siècle, saint Augustin, dans son De civitate Dei, attaque la
théologie politique du césaro-papisme. Cette conception augustinienne a été
déterminante pour la chrétienté de l'Occident. Dans le contexte politique de
la chute de l'Empire Romain d'Occident, la possibilité de confrontation entre
le pape et l'empereur allait de soi. La théorie des deux puissances était
alors caractéristique pour la pensée occidentale, aussi au Moyen Age.
c. Développements au Moyen Age et dans les Temps Modernes
La distinction entre le domaine religieux et mondain, déjà clarifiée à la
fin de l'Antiquité, fut en partie effacée au début du Moyen Age sous
l'influence de la pensée germanique et réglée seulement à la suite des
conflits de la querelle des Investitures (1075-1122). Cette querelle n'était
cependant pas un combat entre l'Etat et l'Eglise, mais plutôt un combat de
compétence entre le pape et l'empereur en tant qu'autorités suprêmes d'une
seule chrétienté.
Même si l'Eglise a revendiqué une certaine souveraineté aussi dans les
choses du monde, dans le cadre de la théorie des deux glaives représenté par
Boniface VIII dans sa bulle « Unam Sanctam », cette conception a été exprimée
de façon beaucoup plus nuancée par Francisco Suárez et Roberto Bellarmino. En
parlant d'une « potestas Ecclesiae indirecta in temporalibus », on entend la
possibilité d'une disposition ecclésiale dans les affaires du monde pour le
salut des âmes (« ratione peccati »). Cette possibilité - qui ne concerne que
les tribunaux - existe jusqu'à aujourd'hui. Dans le canon 1401 du Codex
Iuris Canonici de 1983, on lit : « De droit propre et exclusif, l'Église
décide :... de la violation des lois ecclésiastiques et de tous les actes qui
ont un caractère de péché, en ce qui concerne la détermination de la faute et
l'infliction de peines ecclésiastiques ». Pour expliquer correctement le point
de vue ecclésial médiéval, il faut tenir compte du fait que le pouvoir de
l'état au Moyen Age n'était pas sécularisé comme aux Temps Modernes, mais
était conçu de façon sacrale-chrétienne. Un jugement moral avec l'autorité du
magistère a nécessairement eu des conséquences dans le domaine de la vie
politique et juridique.
L'absolutisme et les Lumières se sont efforcés à soumettre l'Eglise à
l'état et ont essayé de dissoudre l'Eglise dans l'état. Cela a enclenché un
processus de réflexion qui a abouti à la rédaction du premier traité
catholique sur le Ius publicum ecclesiasticum.
L'école de Rome du 19e siècle a continué à développer cette idée
fondamentale en parlant de l'Eglise en tant qu'une société parfaite. Bien sûr
cela ne veut pas dire que le visage terrestre de l'Eglise est sans tache. Cela
veut plutôt exprimer la prétention qu'au plus haut concept de « société » ne
correspond pas seulement l'état souverain, mais aussi nécessairement l'Eglise,
de par sa nature théologique. Cette conception est exposée par deux grands
cardinaux, classiques de la Ius publicum ecclesiasticum : Camillo
Tarquini (+1874) et Felice Cavagnis (+1906). La profondeur théologique de
cette tendance n'est pas seulement à mesurer en ce qu'elle pose les fondements
en vue d'intervenir pour la souveraineté de l'Eglise, et de faire d'elle un
sujet de droit international, mais bien plus aux déclarations théologiques qui
apparaissent plus tard dans l'enseignement du Concile Vatican II et qui auront
un accent particulier. Un des premiers auteurs de l'école de Rome, le cardinal
Giovanni Soglia (+1855) souligne que l'unité indéchirable de l'Eglise visible
et invisible dérive de l'Incarnation du Christ. Le lieu théologique du droit
canon devrait donc être déterminé à partir du dogme de l'Incarnation. En
raison de ces considérations, le cardinal John Henry Newman constate que
l'Incarnation est l'archétype du principe sacramentel. Ce principe correspond
au principe de l'unité entre l'Eglise visible et invisible.
3. L'enseignement de Vatican II
Le Concile Vatican II a certes pris position dans plusieurs documents sur
l'Etat et l'Eglise ; il n'a cependant pas rédigé de théorie organique de leur
rapport. La constitution dogmatique sur l'Eglise Lumen Gentium, la
constitution pastorale Gaudium et Spes et la déclaration sur la liberté
religieuse nous donnent toutefois certains éléments qui témoignent de leur
fidélité à l'enseignement catholique traditionnel et qui contiennent aussi de
nouvelles accentuations. Dans l'article 76 de la constitution pastorale
Gaudium et Spes, on insiste sur le fait que l'Eglise, « en raison de sa
charge et de sa compétence, ne se confond d'aucune manière avec la communauté
politique et n'est liée à aucun système politique ». Elle est « à la fois le
signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine. Sur
le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l'Église sont
indépendantes l'une de l'autre et autonomes. Mais toutes deux, quoique à des
titres divers, sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes
hommes. Elles exerceront d'autant plus efficacement ce service pour le bien de
tous qu'elles rechercheront davantage entre elles une saine coopération ».
L'Eglise ne place pas « son espoir dans les privilèges offerts par le pouvoir
civil ». « Mais il est juste qu'elle puisse partout et toujours prêcher la foi
avec une authentique liberté, enseigner sa doctrine sociale, accomplir sans
entraves sa mission parmi les hommes, porter un jugement moral, même en des
matières qui touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de
la personne ou le salut des âmes l'exigent ». Cet enseignement se retrouve
également dans le Codex Iuris Canonici où l'on constate que c'est du
devoir et du droit inné de l'Eglise, « indépendant de tout pouvoir humain »,
que de « prêcher l'Évangile à toutes les nations, en utilisant aussi les
moyens de communication sociale qui lui soient propres » (c. 747,1). « Il
appartient à l'Église d'annoncer en tout temps et en tout lieu les principes
de la morale, même en ce qui concerne l'ordre social, ainsi que de porter un
jugement sur toute réalité humaine, dans la mesure où l'exigent les droits
fondamentaux de la personne humaine ou le salut des âmes » (c. 747,2).
Le nouvel accent du Concile réside particulièrement dans la reconnaissance
du caractère neutre de l'état sur le plan religieux et de la liberté
religieuse. D'après cette position catholique, l'Eglise est - comme elle l'a
toujours été - une communauté de foi, de salut et de droit. C'est là l'essence
de l'enseignement catholique traditionnel sur l'unité, la visibilité et la
sacramentalité salvifique de l'Eglise. L'Eglise et l'Etat sont deux grandeurs
distinctes, et ce tant selon leur origine et but, que d'après leur essence.
Les deux sont autonomes et indépendants l'un de l'autre. Cette idée était déjà
exprimée dans l'enseignement de la Societas perfecta, qui était encore
soutenue explicitement par Paul VI, de manière particulière dans son Motu
proprio Sollicitudo omnium Ecclesiarum sur les charges des légats du
pape. La liberté religieuse doit être garantie par l'Etat en raison de la
dignité humaine. Les conventions entre l'Etat et l'Eglise sont toujours
considérées comme un moyen approprié de régulation des relations et de la
collaboration.
4. Liberté religieuse dans l'Etat et fidélité à la foi orthodoxe dans
l'Eglise - une distinction naturelle
Le Concile Vatican II a solennellement déclaré intervenir pour la liberté
religieuse, non pas parce qu'il rejette la signification et le contenu
objectif de toutes les religions et convictions, mais parce qu'il s'incline
devant la liberté donnée par Dieu et la dignité de la personne humaine. La
déclaration du Concile « Dignitatis humanae » est le document principal
dans lequel l'enseignement sur la liberté religieuse se trouve. La déclaration
du Concile essaie de répondre à deux questions essentielles, liées entre elles.
La première est la question de la liberté de la décision de conscience sur la
vérité fondamentale de la religion. La deuxième est celle de la pratique libre
de la religion dans la société.
Le fait que le thème de la liberté religieuse apparaisse, est étroitement
lié à la consolidation et la diffusion du concept des Droits de l'Homme dans
les Temps Modernes. Le document conciliaire mentionné explique de façon
explicite : « en traitant de cette liberté religieuse, le saint Concile entend
développer la doctrine des Souverains Pontifes les plus récents sur les droits
inviolables de la personne humaine et l'ordre juridique de la société » (DH
1,3).
Le Concile parle de la liberté religieuse comme une valeur que le droit
civil doit reconnaître et estimer (DH 2,2). L'exigence de la liberté
religieuse s'adresse donc à l'Etat et à la société civile. Ces derniers
doivent reconnaître ce droit et en garantir la pratique. Selon l'enseignement
du Concile, son fondement est la nature de l'homme et sa dignité. « Tous les
hommes, parce qu'ils sont des personnes, c'est-à-dire doués de raison et de
volonté libre, et, par suite, pourvus d'une responsabilité personnelle, sont
pressés, par leur nature même, et tenus, par obligation morale, à chercher la
vérité, celle tout d'abord qui concerne la religion. Ils sont tenus aussi à
adhérer à la vérité dès qu'ils la connaissent et à régler toute leur vie selon
les exigences de cette vérité. Or, à cette obligation, les hommes ne peuvent
satisfaire, d'une manière conforme à leur propre nature, que s'ils jouissent,
outre de la liberté psychologique, de l'exemption de toute contrainte
extérieure. Ce n'est donc pas sur une disposition subjective de la personne,
mais sur sa nature même, qu'est fondé le droit à la liberté religieuse » (DH
2,2).
La justification donnée par le Concile, la justification par la nature de
l'homme, ne coïncide pas avec la conception des Lumières du droit naturel.
Dans l'argumentation du Concile, le droit dérive en effet du devoir de
rechercher et d'accepter la vérité objective en matière de religion. Cela
présuppose d'abord qu'en matière de religion, il y ait une vérité objective et
que, d'autre part, l'être humain tende, par sa nature, vers cette vérité. Il
peut et doit l'atteindre d'une façon qui corresponde à sa nature de personne.
Tout cela requiert une décision et des actes qui rejoignent sa conscience et
ce, indépendamment de toute pression extérieure. Que l'homme soit un tel être,
ne résulte pas simplement d'un raisonnement logique, mais se laisse aussi
reconnaître à la lumière de la Révélation. C'est pourquoi le Concile met
l'accent sur le fait que « le droit à la liberté religieuse a son fondement
réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l'ont fait
connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même » (DH 2,1). Ce principe
n'est pas proclamé par le Concile comme quelque chose d'absolument nouveau,
mais renvoie à l'encyclique « Pacem in terris » de Jean XXIII et aussi
à des déclarations pontificales plus anciennes, en particulier à l'encyclique
« Libertas praestantissimum » de Léon XIII, à la lettre circulaire
célèbre « Mit brennender Sorge » (Avec une brûlante inquiétude)
de Pie XI ainsi qu'au message radiophonique de Pie XII du 24 décembre 1942.
Ce droit appartient aux personnes individuelles mais aussi aux communautés
religieuses. En accord avec la déclaration sur la liberté religieuse
communautaire dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, sans pour
autant la prendre comme point de départ, le Concile enseigne que le droit à la
liberté religieuse revient aussi à la communauté, et ce, à partir de la
conception sur la nature de l'homme et de la religion à la lumière de la
raison et de la Révélation. Il souligne : « La liberté ou absence de toute
contrainte en matière religieuse qui revient aux individus doit aussi leur
être reconnue lorsqu'ils agissent ensemble. Des communautés religieuses, en
effet, sont requises par la nature sociale tant de l'homme que de la religion
elle-même. Dès lors, donc, que les justes exigences de l'ordre public ne sont
pas violées, ces communautés sont en droit de jouir de cette absence de
contrainte afin de pouvoir se régir selon leurs propres normes, honorer d'un
culte public la divinité suprême, aider leurs membres dans la pratique de leur
vie religieuse et les sustenter par un enseignement, promouvoir enfin les
institutions au sein desquelles leurs membres coopèrent à orienter leur vie
propre selon leurs principes religieux » (DH 4,1-2).
Dans cette description claire du droit à la liberté religieuse qui revient
à la personne individuelle et, de façon inaliénable, à la communauté, il faut
mettre en évidence deux éléments. Le premier est le droit de la communauté
religieuse à l'exercice public de son culte. Cela ne veut pas seulement dire
liberté de culte. Le mot « public » signifie, d'après le contexte de la
Déclaration du Concile, « officiel ». Comme le Concile a enseigné dans sa
constitution « Sacrosanctum Concilium » (SC 7), ce sont le Christ et
l'Eglise toute entière qui exercent le culte intégral. Ce caractère
communautaire et officiel consiste en ceci que, dans la célébration liturgique,
le Corps Mystique du Christ offre au Père le culte qui Lui est dû. C'est pour
cela que le Concile distingue le caractère officiel (« publicus », public) du
caractère privé (SC 13,2 ; 26 ; 41-42 ; cfr. c. 872). Il enseigne : « Les
actions liturgiques ne sont pas des actions privées, mais des célébrations de
l'Église, qui est ‘le sacrement de l'unité', c'est-à-dire le peuple saint
réuni et organisé sous l'autorité des évêques » (SC 26,1).
L'autre élément digne de considération dans la déclaration citée de « Dignitatis
humanae » (4, 1-2) est que le droit à la liberté religieuse pour la communauté
religieuse réside aussi dans la compétence de suivre ses propres règles. Cela
exclut que l'identité, les fonctions principales officielles, la foi et le
caractère de la communauté puissent être tributaires de modes de comportement
individuels arbitraires.
Le Concile et le nouveau Droit Canonique accordent non seulement une
attention particulière à l'Eglise, qui proclame la Parole divine, mais
également à ceux à qui elle s'adresse. Chaque homme est tenu de rechercher la
vérité sur Dieu et son Eglise. Après l'avoir reconnue, il est obligé à
accepter l'Evangile et l'Eglise véritable et à se tenir à la vérité reconnue
(c. 748, 1 ; LG 16 ; DH 1).
Bien que l'acceptation de la foi doive se faire librement, une fois qu'elle
a été acceptée, ce n'est plus une option facultative que de garder la foi
catholique, mais cela devient une obligation morale objective qui est aussi
stipulée juridiquement dans la communauté ecclésiale. L'ancienne tradition
chrétienne est formulée de façon classique par Tertullien : « il faut chercher
l'enseignement du Christ jusqu'à ce que nous le trouvions, c'est-à-dire
jusqu'à ce que nous le découvrions ». Il faut toutefois faire la distinction
entre liberté de conscience et liberté religieuse d'une part, choses qui
reviennent à l'homme sur base de sa dignité personnelle, et d'autre part les
droits et les devoirs qui reviennent au croyant en tant que tel à l'intérieur
de l'Eglise. Celui qui est devenu un membre du Corps du Christ participe à la
triple mission du Christ. Il a reçu tant l'invitation à participer à la
mission confiée à l'Eglise, que le droit à ce qu'exige la mission. En
revanche, comme croyant à l'intérieur du peuple de Dieu, il ne peut pas avoir
le droit à ce qui contredise cette mission, c'est-à-dire à abandonner la foi
et à se séparer de la communion de l'Eglise. Oui, c'est un devoir fondamental
des croyants (cfr. LG 11-13 ; 23 ; 32 ; GS 1 ; c. 209,1) que de rester
toujours en communion avec l'Eglise. C'est la conséquence de la libre décision
de l'homme qui a accepté la foi et la communauté ecclésiale.
Il ne peut y en aller autrement, sinon l'Eglise ne pourrait plus accomplir
sa mission, donner un témoignage crédible. Elle ne pourrait plus maintenir son
identité et exercer sa fonction sacramentelle.
Une liberté religieuse et de confession théoriquement illimitée à
l'intérieur de l'Eglise serait en pleine contradiction avec son essence, car
l'Eglise est le peuple qui est aussi uni par la même profession de foi.
Cardinal Peter Erdö